La plus grande réussite de l’Iran dans sa guerre de 12 jours avec Israël a été de faire revivre la Théorie de la toile d’araignée, introduite par Hasan Nasrallah après le retrait d’Israël du sud du Liban en 2000. Lors de son discours proclamant la victoire sur les occupants israéliens, le défunt secrétaire général du Hezbollah a fait valoir qu’en raison de sa nature coloniale, la société juive israélienne se fracturerait à cause de la pression militaire soutenue, forçant de sérieuses concessions de la part de son élite pour survivre.
Lorsqu’Israël a assassiné Nasrallah et forcé un cessez-le-feu avec le Hezbollah en septembre 2024, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a également proclamé la mort de cette théorie. «Nos ennemis pensaient que nous étions comme une toile d’araignée. C’est ce que l’un d’eux disait», a déclaré Netanyahou. «De quelle toile d’araignée parlent-ils ? Nous avons des tendons d’acier – à la fois de volonté et de pouvoir».
Trois mois plus tard, alors que Trump entrait en fonction, la coalition de Netanyahou restait solide, la société juive israélienne avait retrouvé sa confiance depuis le choc du 7 octobre, et Tel-Aviv croyait que Washington était fermement sous sa coupe. L’armée israélienne était maintenant prête à tourner son attention vers l’Iran.
Lorsqu’Israël a lancé son inévitable assaut contre l’Iran, le 13 juin, ce pays ne semblait pas préparé. Il a perdu une grande partie des hauts dirigeants du CGRI dans les premiers instants du raid, ainsi que neuf scientifiques nucléaires et de précieux moyens militaires. Mais après les douloureux moments du début, l’Iran a démontré qu’il pouvait renverser la vapeur, pénétrer le Dôme de fer israélien et forcer les Israéliens à choisir entre une nuit de sueur dans des abris exigus ou une version des horreurs jonchées de décombres qu’ils avaient imposées à Gaza, tout en frappant quelques cibles de grande valeur, du ministère de la Défense à l’Institut Weizmann. Malgré la dégradation de ses défenses aériennes, qui a empêché de plus grandes salves de missiles balistiques et limité l’utilisation de missiles plus avancés, l’Iran a réussi à marquer un coup de dernière minute avec une frappe ayant fait beaucoup de dommages sur la ville israélienne de Beersheba quelques instants avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu d’aujourd’hui. Les derniers instants de l’opération iranienne True Promise 3 ont achevé une réalisation politique qui a touché la psyché coloniale israélienne.
Le sionisme moderne est construit sur la promesse que, comme l’a dit Ehud Barak, les Israéliens vivront dans «une villa au milieu de la jungle». Pourtant, juste au moment où ils pensaient avoir étouffé les habitants de la jungle de Gaza, du Liban et du Yémen, les murs de leur villa coloniale ont recommencé à se fissurer, et d’une manière sans précédent. Des milliards de dollars d’investissements américains et européens dans le système de défense aérienne multicouche d’Israël n’ont pas réussi à empêcher un stock essentiellement plus ancien de missiles balistiques iraniens, développés au niveau national, de se faufiler, brisant les illusions d’une population habituée à mener des guerres unilatérales d’extermination. Quelques jours avant le cessez-le-feu, le journal israélien Yedioth Ahranoth rapportait que l’approvisionnement du pays en missiles intercepteurs était en train de s’épuiser, corroborant les informations parues dans le Wall Street Journal et le Washington Post quelques jours plus tôt.
L’image des missiles iraniens frappant le bureau de Microsoft dans le parc technologique de Gav-Yam à Beersheva fut emblématique. Le secteur technologique israélien constitue l’épine dorsale de son économie, soutenant sa classe moyenne supérieure, générant de précieuses start-ups et fournissant aux vétérans de la vaste Unité 8200 un emploi dans le pays après la fin de leur service. Alors que la guerre et l’occupation continues ont alimenté l’innovation technologique létale d’Israël, son secteur technologique dépend d’un système de défense aérienne prétendument impénétrable pour maintenir un environnement stable pour les investissements directs étrangers. Pourtant, même avant qu’il ne déclenche la guerre avec l’Iran, les niveaux d’investissement étranger direct d’Israël étaient à leur plus bas niveau depuis 2023, et la «Start-Up Nation» autoproclamée faisait face à une nouvelle dégradation du crédit. Alors qu’Israël lève le voile officiel de la censure sur les destructions qu’il a subies à cause des frappes iraniennes, ces tendances risquent de s’accélérer.
Le pire dommage subi par Israël a peut-être été son image aux États-Unis, où une grande partie de la population le tient (à juste titre) pour responsable du génocide commis à Gaza. Seulement environ 18% du public américain soutenait la menace d’une frappe américaine contre l’Iran, mais Trump l’a quand même fait, et n’a même jamais pris la peine d’expliquer pourquoi au public américain. En cours de route, il a été accusé de trahison par les architectes intellectuels d’America First, Tucker Carlson et Steve Bannon (cofondateur du média de droite Breitbart, dont le lancement a été inspiré par une réunion à Jérusalem en 2007 avec Netanyahou), tout en trouvant ses défenseurs les plus volubiles parmi les néocons «Never Trump» comme l’aboyeur de carnaval de la radio AM Mark Levin. Seulement 20% des républicains de moins de 45 ans ont exprimé leur enthousiasme pour les frappes de Trump sur les installations nucléaires iraniennes.
Dans une tentative apparente de retrouver sa dignité, Trump a éclaté de rage contre Israël après qu’il a violé le cessez-le-feu dont il revendiquait le mérite. «Je ne suis pas content d’Israël», a déclaré le président en quittant la Maison-Blanche le 24 juin. «Quand je dis, ok, vous avez 12 heures, vous ne tirez pas dès la première heure et laissez tomber tout ce que vous avez sur eux». Il a poursuivi «Nous avons essentiellement deux pays qui se battent depuis si longtemps et si durement, ils ne savent fondamentalement pas ce qu’ils font».
Pour quiconque y prête attention, l’influence écrasante et malveillante d’Israël sur le gouvernement américain est devenue impossible à nier. Quel que soit le parti qui contrôle la Maison-Blanche, la bonne entente entre Washington et Tel-Aviv ne fera que s’élargir dans les années à venir.
Les dommages politiques ne se limitent pas à la base traditionnelle de soutien d’Israël aux États-Unis. En Iran, où Israël espérait inciter à des émeutes pour un changement de régime en mutilant le CGRI et les symboles de la République islamique, divers secteurs du public se sont rassemblés autour du drapeau. À Téhéran, les habitants ont distribué de la pastèque et des friandises à ceux qui faisaient la queue dans les voitures pour de l’essence, tandis que des rassemblements massifs ont éclaté à travers le pays pour soutenir la guerre. Des jeunes femmes ont livré des tirades virales de défi, dont une iranienne sans hijab déclarant «Mort à Israël ! Va te faire foutre Netanyahou !» et même des militants professionnels du changement de régime financés par les États-Unis comme Masih Alinejad ont réagi avec consternation au ciblage par Israël des civils iraniens. Le «Shah» Reza Pahlavi, le fils du dernier roi d’Iran, qui a ardemment embrassé le soutien israélien dans sa tentative de changement de régime, a été discrédité en tant que candidat viable. Si l’ayatollah Ali Khameini réapparaît pour s’adresser à son pays lors des prochaines célébrations de Muharram, ses paroles se répercuteront avec une puissance sans précédent à travers le monde musulman.
Certes, Israël a porté de lourds coups au leadership militaire de l’Iran, à ses défenses aériennes et à son économie. Pourtant, les assassinats par Israël d’une bande de hauts commandants du CGRI et de scientifiques nucléaires n’ont pas affecté la capacité de l’Iran à riposter ou à modifier ses plans. La République islamique a démontré la résilience d’un système qui a formé des milliers de cadres pour remplacer les dirigeants éliminés par la guerre et qui maintient des institutions viables malgré des décennies de sanctions. En fin de compte, l’Iran a rempli sa doctrine défensive en résistant à l’assaut initial, en répondant contre des ennemis militairement supérieurs sans tomber dans un piège d’escalade et en évitant des concessions politiques majeures.
Mais à mesure que la poussière se dissipe, l’Iran sera confronté à des questions pressantes : peut-il améliorer ses systèmes de défense aérienne pour empêcher Israël d’attaquer à volonté comme il le fait au Liban et en Syrie ? Et le stock d’uranium qu’il est censé avoir retiré de son installation de Fordo dans les jours précédant la frappe américaine peut-il être transféré dans une installation sûre, où le processus d’enrichissement peut se poursuivre ?
L’Iran a peut-être remporté une victoire politique et psychologique contre Israël, mais il n’a pas réussi à dissuader. Le cessez-le-feu est donc susceptible de servir d’interrègne, comme l’a reconnu le chef d’état-major israélien Eyal Zamir lorsqu’il a déclaré : «La guerre n’est pas terminée. Une nouvelle phase nous attend». Cela signifie plus d’assassinats et d’autres actes de sabotage comme les explosions observées au port de Shahid Rajaee en avril.
L’élite du renseignement militaire israélien croit clairement qu’elle est dans une course contre la montre. Après 21 mois de conflit acharné, un bouleversement politique pourrait se profiler à l’horizon, révélant la toile d’araignée qui les entoure.