Hypothèses sur l’évolution des fronts après les « cinquante jours de « Trump »

Alors que le front continue de subir la poussée russe dans le Donbass et au Nord, la stratégie occidentale se confirme et se précise.
Analyse de la situation ennemie
Le théâtre trumpiste

Il existe deux méthodes pour dissimuler une intention et perturber l’analyse adverse ; la première consiste à jeter un voile de secret en interdisant l’accès aux informations pertinentes, la seconde repose au contraire sur la saturation cognitive de l’adversaire, souvent accompagnée de faux indices et d’informations piégées. Dissoudre une réalité que l’on souhaite rendre inaccessible dans une « soupe » de données apparemment contradictoires mais visibles, est le principe de la « Lettre volée » de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, concept que les Anglo-saxons définissent comme « hidden in plain sight » (dissimulé au grand jour). La communication du président états-unien Donald Trump, souvent erronément présentée comme chaotique et insensée, s’inscrit dans cette démarche de sidération et de rupture du lien logique ; c’est d’ailleurs un type d’action connue des militaires US qui l’ont qualifié de « shock and awe » (choc et effroi, mais aussi admiration), contre l’Irak notamment. Des annonces très fortes, inattendues voire choquantes, frappent et stupéfient (« engourdir en inhibant », surprendre, rendre stupide en somme) ; il est sans importance qu’elles ne s’avèrent pas, car une nouvelle information forte leur succède dans la chaîne continue de l’information qui martèle les cortex et favorise l’amnésie-tampon.1

Reste que cette tactique est au service d’objectifs qui demeurent, eux, cohérents, et d’intérêts que l’on peut identifier et tracer au-delà du camouflage sémantico-symbolique. Donald Trump est certes en rupture avec certaines orientations de ses prédécesseurs et avec l’évolution idéologique, sociétale et démographique de son pays, telle qu’initiée et promue par le fameux et réel « deep state ».2

Cela crée un facteur de brouillage dans l’analyse de la politique états-unienne qui n’est plus une, mais divisée par des intérêts en opposition. Mais on peut isoler des faits indifférents aux modes et aux personnes. Parmi les critères invariants, on peut citer : Donald Trump est

un étasunien,
probablement patriote à sa manière,
un homme d’affaire milliardaire et
un politique élu. Comme toujours, l’ontologie fournit les données pérennes applicables à l’analyse des décisions, bien davantage que les déclarations ou affiliations supposées.

Donald Trump s’est avéré susceptible de professer des idéologies, puis de les réfuter avec autant de conviction (comme en témoigne sa rupture avec Elon Musk) en fonction de ses intérêts électoralistes.3 De plus, ces impératifs de vote sont temporaires et soumis à l’affect. Au final, ces volte-face ressortent aussi du domaine de l’impermanence et n’impactent pas réellement au fond. Mais certains choix sont eux prégnants. Ainsi, il souhaite que l’hégémonie US persiste, ce qui est un critère de supériorité économique, elle-même nécessaire à son profit et à sa situation. Ce sont donc les impératifs conditionnant :

Conserver une base électorale pour garder un leadership politique,
Utiliser cette position pour orienter des décisions favorables à l’économie. En cela, le 47ème président des États-Unis ne diffère pas réellement au fond des 45 précédents (deux ont été élus deux fois, dont lui-même).

La politique internationale des USA doit donc être considérée en fonction de ces faits.

Actuellement, la base électorale trumpiste est déçue, la lutte contre l’État profond prend une tournure de vendetta personnelle davantage que de révolution sociale, poussant le POTUS (Président Of The United States) comme nombre de ses prédécesseurs dans le passé, à revenir sur son postulat isolationniste. La personnalisation du conflit avec les clans démocrates permet paradoxalement de renouer des alliances avec le complexe militaro-industriel et ses émanations politiques (les « faucons, Néo-cons rabiques), lequel est conçu comme un instrument de relance économique et de réindustrialisation, nécessaire à la fois pour des motifs internes et pour conserver le leadership stratégique mondial face à des pouvoirs apparus ou ré-émergents. Au-delà de la forme médiatique, les actions du président s’appuient sur une logique commerciale dans les négociations diplomatiques (« deals »), voulus de nature bilatérale (disproportionnée de préférence) plutôt que dans le cadre de mécanismes multilatéraux encadrés juridiquement.

Cette politique, dans le cadre d’un déclin global (mais relatif) de l’hégémonie états-unienne, s’appuie sur une politique énergétique mondialisée et elle implique une rivalité avec les puissances concurrentes. Or, le niveau de puissance disponible ne permet plus désormais de contrôler par la force les rivaux, de manière ouverte (« bananas war ») ou subreptice (Alliances et contrôle de l’ONU).
Possible bascule doctrinale militaire nord-américaine

Malgré les outrances du personnage et le conflit réel avec une partie de l’Establishment (qui, selon toute évidence, a tenté de l’éliminer physiquement après avoir essayé politiquement et juridiquement), les éléments de rupture étaient donc finalement limités :

Au-dedans : remise en cause des bases idéologiques et culturelles du soft power états-unien sur la planète, réorientées vers des valeurs traditionnelles et détournées de la philosophie déconstructrice wokiste-LGBT-écologiste-créolisée. Cela crée des tensions internes aux USA mais assure une certaine ambiguïté plutôt favorable dans une grande partie du Monde non occidental. La position du vice-président J.D Vance est centrale dans ce contexte.
En dehors : refus de l’interventionnisme militaire direct. C’est une conclusion tirée de la fin du siècle dernier et du premier quart actuel, qui ne signifie nullement une orientation pacifiste mais plutôt un recours à des stratégies périphériques.

La philosophie et la culture militaire états-uniennes depuis 1865, 1917 et 1941, ont privilégié l’action militaire frontale (« modèle occidental de la guerre »), par projection de forces écrasantes permise grâce à la supériorité industrielle et à l’éloignement ultra-marin.4 Parmi les Anglo-saxons, les Britanniques pour leur part, disposant de ressources limitées, ont toujours privilégié l’action de contournement. La doctrine états-unienne (hors USMC, le Corps étant justement conçus pour la projection rapide à finalité périphérique) largement façonnée à partir de la supériorité technologique et industrielle notamment en matière d’arme aérienne, a relativement mal fonctionné dans des contextes ne permettant pas l’écrasement direct de l’adversaire (pour des considérations techniques ou éthico-médiatiques), en particulier lors des conflits de subversion ou irréguliers que la menace nucléaire, puis la diffusion de moyens technologiques low-cost ont fait proliférer après 1945.

Après une diversion diplomatico-médiatique sur son rôle de « faiseur de paix » (pour endormir l’adversaire, cf. Iran, selon un procédé mis en œuvre contre la Russie en Ukraine), le président US a confirmé l’appétence états-unienne traditionnelle pour la guerre, conservant le canevas de la stratégie de tension autour des trois pôles majeurs que sont l’Ukraine kiévienne, Taïwan et Israël.

Il apparaît toutefois que même l’énorme potentiel US est distendu par des conflits menés contre des acteurs moins puissants mais employant tactiques et technologies modernes, dans la durée (au moins une durée suffisante pour assécher les stocks et créer un gap dans la production des nouveaux moyens, ce qui intervient relativement rapidement). En contradiction avec la doctrine officielle, c’est particulièrement vrai en cas d’engagements multiples simultanés. Il semble donc que les USA en aient pris conscience et qu’ils ont durablement intégré les principes de la stratégie indirecte. Cela se traduit notamment par le refus d’engager les troupes étasuniennes dans un conflit ouvert, mais dans le maintien, voire l’augmentation de l’implication industrielle et technologique au profit des proxys. Cela permet cyniquement, par exemple, de proposer à l’UE d’acheter des armements US pour les transmettre à Kiev.
Évaluation des suites envisageables

Imaginer que la stratégie occidentale puisse être conditionnée par des relations personnelles, au-delà de l’image, est naïf voire puéril. Il ne faut pas interpréter les déclarations publiques successives du POTUS à l’aune de ce critère. Le porte-parole du Kremlin et le président de la Fédération de Russie semblaient d’ailleurs sans illusions sur le sujet en affirmant que Biden était un politicien traditionnel mais Trump un individu imprévisible.

Les USA ont besoin de temps pour relancer leur colossale machine industrielle, qui a connu des réductions dans sa capacité de production comme dans celle de conception. Le délai de latence sera probablement traité en mobilisant les financements européens et en sabotant délibérément tout effort de développement d’une base industrielle de technologie et de défense européenne, ce qui crée une potentialité d’opposition avec Paris.5

Cette démarche implique de recentrer le bloc occidental, ce qui peut rencontrer deux difficultés : le raidissement de dirigeants heurtés par le mépris trumpien à leur égard (Trudeau, Macron…), la résistance de la partie du deep state nord-américain et de ses ramifications hors USA, notamment dans l’UE.

La stratégie US passée a consisté à provoquer l’écroulement de l’URSS en haussant les coûts de la course aux armements. Confronté à cette tactique, le pouvoir russe de Vladimir Poutine a su réagir différemment, en refusant la surenchère face à des capacités disproportionnées, mais en investissant dans des armements de haute technologie innovants, moins onéreux mais à forte valeur stratégique ajoutée (missiles hypersoniques, drones nucléaires sous-marins, émetteurs d’ondes, armes sismiques, météorologiques…). Le problème majeur que connaît la dissuasion russe est qu’elle fait désormais face à des dirigeants adverses qui, à la différence de leurs aînés, semblent manquer des capacités intellectuelles et culturelles nécessaires à bien mesurer les risques et la menace.

A la lumière des combats en Ukraine, la capacité à produire en masse des drones peu coûteux et la valorisation de moyens jugés obsolètes ont été entrepris mais il s’agit de solutions non pérennes. La guerre industrielle de haute intensité exige masse et durée ; dans le cadre de l’attrition (biologique et matérielle) ces deux facteurs fonctionnent au bénéfice de la Russie face à l’Ukraine même « boostée » par l’OTAN (militairement) et l’UE (financièrement). Mais la même équation serait défavorable à Moscou face à une véritable guerre contre la totalité du bloc occidental. Le calcul états-unien consiste à renverser l’effet d’attrition en exploitant ce déséquilibre démographique et économique, sans causer de réaction russe apocalyptique. Pour cela l’emploi des proxys et l’engagement de nouveaux États vassaux (Pologne, États baltes, scandinaves, voire ultimement la triade Franco-britanno-germanique) semble une voie logique. Dans un premier temps, cela se traduira probablement par la continuité de la perfusion de Kiev, tant que le leadership local se maintiendra (on évoque une répudiation de Volodymir Zelensky, qui peut être un nouveau coup de Com’ ou être une éventualité qui ne changera probablement pas grand-chose, puisque l’OTAN a exclu la démilitarisation des objectifs concédables à la Russie).
L’extension à des théâtres périphériques est quasi-certaine.

A- La Baltique semble une zone de tension à venir, tant du fait des déclarations des militaires de l’OTAN à propos de Kaliningrad que de celle de D. Patrushev sur la protection des atouts pétroliers russes dans la zone.

B- Nord Stream étant vraisemblablement fermé définitivement (cf. déclaration de Kaja Kallas), l’arc chiite étant rompu, la Syrie hors de contrôle, les différents projets de gazoducs Sud-Nord vont entrer en rivalité de plus en plus ouverte, entraînant un jeu de dominos déstabilisant plusieurs États sur leurs tracés : La Turquie peut compter sur l’Azerbaïdjan tombé dans une position antirusse affirmée et sur les Frères musulmans de Misrata en Libye, partiellement sur les forces jihadistes de Syrie qu’elle a armé et soutenu. Les ambitions turques risquent cependant de heurter la dynamique israélienne en zone druze de Syrie, voire au-delà dans la région. Le départ français du Sénégal clôt une page de l’histoire africaine de la France mais l’implantation du Corps africain ex-Wagner reste de portée réduite. Si une action était envisagée, sur la production et l’acheminement gazier et pétrolier en Afrique même, la base russe de Shmeiem en Syrie prendrait une importance accrue. Mais les ressources absorbées en Ukraine ne permettent pas un véritable développement en Afrique, d’autant que les États alliés locaux persistent dans leurs faiblesses structurelles connues depuis la Décolonisation. Les capacités réelles subsistant en Iran et les liens avec Moscou (mais aussi Pékin, partenaire majeur pour Téhéran, susceptible de se trouver face à Ankara en Asie centrale) sont à déterminer et conditionneront la capacité d’action de ce pays dans la zone. Face à Bakou, Erevan a joué un rôle incertain, se rapprochant notablement des USA, sollicité par Paris et l’UE, semblant pacifier ses relations avec Bakou puis matant son opposition et souhaitant joindre l’organisation de Shanghai. Il vient d’être révélé un plan (dit « pont Trump » selon certains médias) ouvrant un corridor à l’Azerbaïdjan sur le territoire arménien, sous contrôle d’une société américaine pour 99 ans. Ce « deal » qui rappelle celui conclu avec Kiev sur les terres rares, répond aux souhaits azéris pour unifier les communications entre les deux parties de son territoire. Il favorise également la position d’Ankara face à la Russie et à l’Iran. Les relations Pashinian (et les arrestations récemment ordonnées par Erevan) Aliyev (et les accusations contre la Russie après la destruction d’un avion) trouvent ici leur éclairage. Vraisemblablement sur instruction de la Turquie à son proxy d’Azerbaïdjan, la diaspora azérie en Russie semble avoir été activée pour faciliter l’opération spiderweb contre les bases stratégiques russes. Au-delà des apparences et de la communication de guerre sur la recherche d’une paix négociée en Ukraine, ces tractations confirment une guerre souterraine et mondialisée. Visant directement la Russie et l’Iran, elle impacte indirectement la Chine et, en l’espèce la France et les éventuelles velléités politiques de l’Union Européenne dont le président français entendait se faire le champion. La volonté de prendre pied en Asie centrale en mobilisant une alliance franco-arménienne remontant au génocide de 1915 trouve ici un échec cinglant, coordonné par les USA (cf. la communication sur le découplage possible entre Paris et Washington), favorisant la Turquie dans son ancien pré carré mais également contre la France en Méditerranée et en Afrique (presqu’inutilement dans ce cas, la France ayant été ultimement éjectée du Sénégal, subissant la pression de l’Afrika corps russe et la concurrence efficace de l’Italie – G. Meloni étant clairement ralliée aux USA – au Maghreb). Les liens anciens avec la Turquie et l’importance de la diaspora turque en Allemagne rendent improbable un soutien de Berlin à la politique française, en Afrique, au Maghreb et en Asie centrale. Quant aux Britanniques, ils maintiennent une politique ancrée dans le « grand jeu » et leur opposition féroce à la Russie.

C- La mer Noire reste un théâtre latent, avec des possibilités d’incursions otano-kiéviennes vers la Crimée, une possibilité d’action russe vers Odessa et un risque crédible de contamination de la Moldavie puis de la Roumanie qui s’affiche comme un centre de gravité otanien pour le flanc Sud, la Turquie étant d’une fiabilité incertaine dans ce contexte.

D-Enfin, le front intérieur reste un sujet majeur pour la Russie.

Nombre d’Ex-républiques soviétiques d’Asie centrale s’efforcent à un exercice d’équilibre (qui n’est pas sans rappeler celui de la Serbie) à l’issue incertaine et certainement conditionnée par la victoire en Ukraine. Le soft power russe y est battu en brèche par l’instrumentalisation du fondamentalisme musulman par les Britanniques et à moindre échelle, les États-uniens. Par ricochet, cela impacte la Fédération de Russie où les diasporas totalisent entre 10 et 15% de la population, mais avec une démographie beaucoup plus forte.

Les élites économiques russes, favorables à l’immigration faute de main d’œuvre, freinent les réactions sécuritaires initiées par Moscou et les gouvernements locaux pour lutter contre l’influence d’un Islam non traditionnel dans ces populations, qui gagne du terrain et constitue un ferment anti-russe.

Bien qu’elles n’aient pas tenu les promesses mises en elles par des économistes géniaux comme l’ancien ministre Le Maire ou le Mozart de la finance (un peu l’équivalent des « plans astucieux » russes), les sanctions économiques exercent malgré tout une action sur la Russie, qui souffre de ses taux d’intérêts et de l’inflation entre autres. Le président Trump déclare vouloir sanctionner les efforts de dédollarisation et la participation à un édifice commun séparé dans le cadre des BRICS. Il n’a cependant pas totalement sabordé l’option Bitcoin (malgré la brouille avec Musk) avancée un temps. L’entrée incontrôlée de nouveaux participants aux BRICS peut se solder par un affaiblissement du mécanisme et jouer comme « cheval de Troie » en l’affaiblissant. L’économie états-unienne a certes perdu de sa superbe en termes de parité de pouvoir d’achat (avec un classement 1) République populaire de Chine, 2) USA, 3) Inde, 4) Russie) mais sa puissance et les connexions entre économies du bloc occidental permettent d’influer sur celle de la Russie. Un objectif à moyen terme pourrait être de détourner les fonds prévus pour le développement intérieur russe selon les vœux de l’actuel président, pour financer la guerre. C’est probablement une des clefs – avec les profits des ventes d’armes, cf. évolution du chiffre d’affaires de Rheinmetall depuis trois ans et cf. les financement du sénateur Lindsay Graham par le complexe militaire US- de l’obstination à prolonger le conflit.

E- Evolution du conflit :

Il semble que le conflit soit condamné à durer ; les hypothèses pour un retour de la paix sont :

L’écroulement brutal du front ukrainien, faute de moyens ou de personnel, ou par un renversement politique à Kiev. C’est une option possible, mais pas la plus probable comme on vient de tenter de l’expliciter.
La prise de tous les oblasts revendiqués par la Russie ; c’est une option vraisemblable mais qui ne garantit aucune paix à terme, avec un État kiévien forcément inamical en bordure de ces territoires, lui-même adossé à l’Ouest à des puissances hostiles. Au mieux, cela serait une solution bancale, « à la Coréenne », ou comme celle de Chypre. Notons que les balances par partition sont souvent précaires (cf. Vietnam, Allemagne, Bosnie Herzégovine…). Inversement, pour deux cas pacifiques (DDR/BRD et Tchéquie-Slovaquie) les coexistences territoriales fondent les stratégies de crise, Israël/Palestine, RPC/Taïwan et Kiev/Donbass, ce qui a conduit dans l’Histoire aux nettoyages ethniques et aux déportations massives de population. L’opinion russe est que conserver un État armé et hostile aux frontières est le gage d’une nouvelle guerre, plus intense à brève échéance. Cela ne pourrait être évité que si Kiev demeurait isolée, ce qui postule un changement drastique dans les États de l’Union Européenne, si cette Union demeure, et aux USA.
Une solution diplomatique agréant toutes les parties, ce qui parait impossible au vu des enjeux clandestins ou, a minima, entre un gouvernement ukrainien relégitimé par des élections et le pouvoir russe représentant les populations russes locales. L’option initiale de 2015 puis 2022 d’un système fédératif conservant à l’Ukraine des populations avec un statut d’autonomie relative, a été annulée par la position kiévienne après l’intervention de l’UE, qui a déclenché l’intégration des républiques LPR et DPR dans la Fédération de Russie. Si la pression occidentale diminuait, un accord « pour sauver les meubles » serait vraisemblablement de l’ordre du possible. La question serait alors sa durabilité et sa robustesse dans la durée.
Une extension non maîtrisée, dans un théâtre périphérique, impliquant une confrontation directe entre OTAN et Fédération de Russie, qui ferait de l’Ukraine une zone secondaire.

Le pouvoir russe a prudemment évité de ne donner aucune ligne rouge officielle et a réagi avec mesure aux montées en puissance des actions occidentales (de la fourniture d‘armes de puissance croissante sur le terrain, jusqu’aux actions terroristes, aux frappes dans l’intérieur du territoire et aux attaques économiques). Il existe vraisemblablement un seuil au-delà duquel la réaction serait exponentielle et plus incrémentale. La doctrine nucléaire russe en donne une idée, mais il est raisonnable de penser que, comme tout pouvoir, s’il considérait être en péril, le président Vladimir Poutine prendrait des décisions extrêmes en rapport.

De l’autre côté, on est fondé à être encore plus inquiet quant aux attitudes bellicistes des dirigeants européens, en quête de légitimité politique, de justification pour des ponctions économiques et la fédéralisation, en tant qu’exécutants de la politique occidentale décidée à Washington ou au contraire pour s’en affranchir, et enfin pour maintenir leurs populations par une gestion par la peur désormais de mise depuis plusieurs années. Une « jolie petite guerre » apparaît hélas trop souvent comme une échappatoire pour des pouvoirs aux abois, confrontés à leur incapacité à gérer des crises économiques, de sécurité, de développement, démographiques, d’identité, et sociales, d’ampleur croissante.

L’effondrement économique et l’insatisfaction sociale correspondant ont été imaginé par les experts occidentaux comme une sorte de « 1917 Bis » à planifier et organiser en Russie, comme forme ultime de la stratégie indirecte. Écartée par beaucoup, cette option n’est pourtant pas inenvisageable. Nombre de « cygnes noirs » en Histoire sont connus, à commencer, justement, par les révolutions réussies.

Actuellement, le pouvoir russe évite de recourir à la conscription, mais cela limite ses capacités offensives en Ukraine, et défensive par rapport à l’arc mis en place par l’Occident collectif. L’inflation est compensée partiellement par la hausse des salaires pour les individus mais le taux directeur handicape les sociétés. L’exposition à la guerre de la population civile hors Donbass, se limite à des bombardements par drones et à des actes de terrorisme, sur le sol russe reconnu internationalement. Chacun de ces axes peut faire l’objet d’actions amplifiant sa portée. Le seuil d’acceptation est à définir mais il existe des courants de pensée en Russie, soit favorables à un retour à la situation ante dans les rapports, notamment financiers et culturels avec l’Occident, soit souhaitant une aggravation majeure de la confrontation. Dans ces domaines également, les services sont en mesure de manipuler et d’orienter les opinions et les populations. Les conséquences d’une action réussie sont, elles aussi à déterminer, écroulement et démembrement puis ajustement à l’ordre occidental, ou crise et émergence d’un nouveau pouvoir plus violent. Dans ce dernier cas, la Fédération de Russie n’ayant plus les moyens de l’URSS, le recours de ce nouveau pouvoir à l’arsenal nucléaire et aux nouvelles armes serait une hypothèse crédible.

Notes :

  1. On rappellera les déclarations très précises sur « le temps de cerveau disponible » d’un ancien responsable de chaîne TV. La Maskirovka, et de tout temps les manœuvres de ruse et de tromperie, reposent sur ces principes élémentaires de science cognitive
  2. Responsables à la tête de la pyramide naturellement, mais aussi ceux qui croient en bénéficier, comme les migrants, heureux d’être accueillis mais finalement voués à un rôle de Lumpen Prolétariat ou acteurs médians, déclassés mais convaincus d’incarner la Justice sur Terre et trouvant une réponse à leurs problèmes intérieurs le plus souvent.
  3. Il n’est pas le seul, le président français excelle aussi dans le genre, en bon acteur pour lequel le script n’est qu’un faire-valoir de sa performance théâtrale ; l’objectivité impose d’admettre qu’il n’est pas le seul, c’est un peu l’essence du Politique même si les nouvelles générations de responsables font preuve d’un étonnant manque de profondeur, de culture et d’analyse, en sacrifiant tout à la forme.
  4. Héritiers de l’impérialisme britannique, les USA ont développé une conception de domination des mers et de contrôle des passages, théorisé par l’amiral Mahan et compatible avec les conceptions géopolitiques apparemment contradictoires mais en fait complémentaires de Mc Kinder (Heartland, l’île mondiale) et Spykman (Rimland, l’anneau intérieur). La volonté de contrôler les mers (cf. Sir Walter Raleigh) a coexisté avec la doctrine Monroe qui au départ à borné l’expansion États-unienne.
  5. Londres, Berlin et Paris ont affirmé qu’ils ne financeraient pas les achats. Le président français semble imaginer qu’il pourrait se hisser au sommet de ce triumvirat pour diriger à terme l’Europe. C’est probablement un des points qui expliquent la crispation avec les USA et l’apparent découplage analysé dans un texte précédent. Il reste que Londres a toujours été un porte-avion US, que sa politique et son savoir-faire subversif lui confèrent déjà un rôle auprès de Washington. La politique de AUKUS et la coup de poignard dans le dos de la France à l’occasion du marché de sous-marins est à rapprocher des interventions britanniques en Asie centrale et de l’étrange implication du président azéri dans le processus de perte de souveraineté française en Nouvelle Calédonie, finalement accepté par Paris, qui semble à mettre en parallèle avec nos tentatives d’ancrer la France en Arménie, pays que Pachinian a préféré orienter vers les USA, qui téléguident Ankara auquel l’Azerbaïdjan est soumis. Quant aux Allemands, ils ont sabordé perfidement les tentatives européennes de production conjointes, valorisant leurs fabrications nationales (Léopard) ou préférant acheter US. Avec des amis comme ça…

Check Also

Turkish President Erdoğan, His Senior Officials, And His Controlled Media Are Talking About Attacking Israel

During his 22-year reign, Turkish President Recep Tayyip Erdoğan has expanded Turkey’s power militarily in …

Leave a Reply

Your email address will not be published.